ARA, quelle place pour la médiation ?

Danièle Ganancia, Ancien Juge aux affaires familiales, Médiatrice familiale diplômée d’État

Isabelle Copé-Bessis, Avocat au Barreau de Paris, Médiateur

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice de l’association Les avocats de la paix, des réseaux
Humanethic, Les Elles du business, membre de GEMME

Le garde des Sceaux a entendu consacrer, par le décret n° 2023-686 du 29 juill. 2023 sur l’audience de règlement amiable (ARA) et la césure, des avancées dans la voie d’une justice plus pacificatrice, avec un juge incitant les parties à un règlement amiable des litiges.

On ne peut que souscrire à l’idée d’une justice humaniste plus proche du citoyen, recherchée par l’audience de règlement amiable, où, selon les termes du décret précité, le juge saisi d’un litige délègue à un autre juge, qui ne siège pas dans la formation de jugement, « la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige » (C. pr. civ., art. 774-2 ).

L’ARA semble réinvestir le juge dans son rôle de conciliateur tel que prescrit par l’art. 21 c. pr. civ. et on sait combien cette méthode est opérante.

La conciliation par le juge a, en effet, été pratiquée, de longue date, par certains magistrats que leur foi en cette conception de la justice poussait à prendre le temps nécessaire pour assurer pleinement leur mission pacificatrice dans les conflits.

Actuellement, même si certains continuent à le faire, la charge de travail des juges ne leur permet quasiment plus de remplir cette mission.

Au fil du temps, l’augmentation exponentielle du contentieux familial, sans que s’en suive celle corrélative du nombre de magistrats, a empêché que ce système puisse survivre, dans un contexte de pression des chiffres où la performance des magistrats ne se constate qu’à l’aune du nombre de « dossiers sortis » chaque mois.

Le mérite de l’ARA est que la mission de conciliation sera assumée par un autre juge que celui qui tranche, lequel conservera la neutralité indispensable à l’égard des parties. Il devra consacrer du temps à l’écoute des parties, s’agissant de leur vécu et de leurs problèmes, non seulement sur le plan juridique, mais aussi humain, ce qui permettra d’enclencher un processus d’apaisement propice aux solutions.

Ce « nouveau » magistrat devra être formé à des méthodes permettant aux parties de renouer une communication apaisée, de mieux se comprendre et de coopérer pour construire ensemble des solutions mutuellement acceptables.

L’ENM se propose de mettre en place des formations à cet effet. Cependant, combien de temps cela prendra-t-il pour avoir des magistrats formés, alors que le décret est entré en application le 1er nov. 2023 ?

Une réserve d’importance – En matière familiale, l’ARA concerne uniquement les procédures écrites ordinaires devant le tribunal judiciaire, c’est-à-dire principalement les conséquences du divorce relatives aux époux et aux enfants (modalités d’exercice de l’autorité parentale, contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, prestation compensatoire…), la liquidation et le partage du régime matrimonial et de l’indivision entre partenaires pacsés ou entre concubins, la liquidation successorale, le contentieux des libéralités (1).

En revanche, sont exclues toutes les procédures orales soumises au juge aux affaires familiales, c’est-à-dire celles relatives à l’exercice de l’autorité parentale et aux obligations alimentaires, ainsi que toutes les procédures familiales devant la cour d’appel.

Comment expliquer cette exclusion d’une grande partie du contentieux alors que le divorce par consentement mutuel sans juge représentait en 2016 près de 60 % (2) des cas ? – L’ARA, applicable tant à la procédure orale que devant la cour d’appel, représenterait pourtant une belle opportunité de pacifier une majorité de litiges familiaux, et plus particulièrement ceux concernant les enfants pris dans la tourmente du conflit de leurs parents.

Le juge est investi d’une autorité symbolique qui favorise les accords.

Pour que les avocats et les magistrats puissent y adhérer massivement et que l’ARA ne demeure pas au stade encore trop peu utilisé de la procédure participative, il est nécessaire de l’étendre à toutes les procédures familiales tant en première instance qu’en appel. Elles représentent le terreau le plus fertile de l’ARA.

Le garde des Sceaux s’est inspiré du système adopté par le Québec depuis de nombreuses années, qui donne lieu à un taux d’accords très important. Toutefois, il faut savoir que les audiences peuvent durer entre une demi-journée à deux journées entières… Une telle temporalité n’est pas possible en France car le nombre de juges par habitant est encore trop faible (3) et le retard de traitement des stocks de dossiers beaucoup trop important.

Comment pourra-t-on mobiliser un nombre suffisant de magistrats formés aux modes amiables pour appliquer l’ARA ? – Ils devraient être recrutés parmi des magistrats honoraires ou des magistrats à titre temporaire (MTT). Cependant, compte tenu de la mise en place de l’audience de règlement amiable à compter du 1er nov. 2023, on ne peut que se questionner sur les conditions, le quantum de magistrats nécessaires et la formation à l’ARA.

Comment les parties accueilleront-elles la possibilité de l’ARA ? – Tout dépendra du choix de leur avocat, formé ou non aux modes amiables, et si, préalablement à la saisine de la juridiction, il y a eu ou pas tentative de règlement amiable préalable.

Il ne faut pas perdre de vue que chaque partie a une perception différente du temps de la séparation comme de la durée des procédures.

L’ARA aura-t-elle un impact sur le recours à la médiation, alors que, par un signal fort, la chancellerie a installé concomitamment le Conseil national de la médiation ? – Le Conseil national de la médiation est chargé de réfléchir à des mesures incitatives, sa structuration dans les juridictions, la codification, les outils statistiques, la déontologie, la formation, etc. autant de mesures destinées à renforcer la qualité, et donc le développement de la médiation.

Peut-être l’ARA répondra-t-elle à d’autres besoins des parties que la médiation. Peut-être, en effet, la présence d’un magistrat pour les personnes réticentes à la médiation deviendra-t-elle plus adaptée.

Dans une perspective plus large, le rôle du juge et de l’avocat est de parvenir à la paix sociale.

Le philosophe Paul Ricoeur traduit cette vision dans une belle formulation : « La finalité courte de l’acte de juger est de trancher un litige, sa finalité longue est de contribuer à la paix sociale ».

Pourquoi ne pas développer une nouvelle vision du rôle du juge, ainsi que de l’avocat, comme promoteurs de la paix dans les conflits familiaux ?

Il est incontestable que, très rapidement, la formation, initiale et continue, généralisée et systématique, des juges et des avocats à l’amiable devrait devenir un levier déterminant pour développer un nouvel état d’esprit dans ces deux professions et déclencher de nouveaux réflexes pour remplir cet objectif de paix sociale, et dans notre matière, de paix
familiale.

Il y aurait peut-être d’autres voies incitatives pour y parvenir.

Concernant les magistrats, ne pourrait-on pas, par exemple, s’inspirer dans notre droit positif de l’art. 25 du nouveau Règlement européen « Bruxelles Il ter » du 25 juin 2019 ? Cet article dispose que : « Le plus tôt possible au cours de la procédure et à tout stade de celle-ci, la juridiction […] invite les parties à examiner si elles sont disposées à entamer une médiation ou recourir à tout autre mode alternatif de règlement des litiges ». Il serait ainsi introduit dans notre code de procédure civile la même obligation positive du juge d’évoquer la médiation ou tout autre mode de résolution amiable des conflits.

Concernant les avocats, une semblable disposition pourrait les amener à être davantage des « avocats de la paix ». En effet, l’art. 6, 1, du règlement intérieur national (RIN) recommande simplement d’examiner avec ses clients la possibilité d’un recours aux MARD. Ne faudrait-il pas que ce soit une obligation ?

Si on voulait pousser la réflexion un peu plus loin encore, pourquoi ne pas développer plus largement l’obligation à une rencontre de médiation, en matière familiale, sachant qu’actuellement une telle obligation est déjà en place pour certains petits litiges visés dans l’art. 750-1 c. pr. civ. (notamment les litiges de voisinage ou inférieurs à la somme de 5 000 €) ?

La matière familiale, où la pacification est un enjeu d’ordre public, ne mériterait-elle pas que cette obligation d’une rencontre des deux parties avec un médiateur, sans obligation évidemment de poursuivre le processus, puisse permettre aux parties de s’asseoir autour d’une table et d’un processus de paix ?

Il n’est sans doute pas productif d’en faire une condition de recevabilité de la demande comme le démontrent les résultats de la tentative de médiation familiale (TMFPO) dans certaines juridictions pilotes.

D’une part, parce qu’elle peut être ressentie comme une limitation du droit d’accès au juge ; d’autre part, car l’obligation de médiation est préalable et non postérieure à la saisine du juge et qu’elle ralentit la solution des litiges, en raison notamment des délais pour accéder à un médiateur et des délais d’audiencement postérieurs à cette obligation.

L’obligation est beaucoup mieux acceptée lorsqu’elle vient de la parole du magistrat lui-même.

Le rôle pro-actif des juges dans le développement d’une politique de l’amiable serait une véritable révolution culturelle, qui leur permettrait en outre d’alléger les stocks de dossiers qui ne cessent d’augmenter.

Il serait indispensable, dès lors, comme l’ont souvent suggéré les magistrats, que leur implication dans les modes amiables soit revalorisée, tant à l’occasion de leur évaluation qualitative que dans leurs résultats statistiques, lesquels devraient alors faire apparaître le nombre de dossiers réglés par leur incitation à la voie amiable.

Il est certes possible que l’ARA soit de nature à favoriser dans l’esprit du public la vision d’un juge pacificateur des conflits, dont notre société a un besoin urgent. Cependant, telle qu’elle est organisée par le nouveau texte, c’est-à-dire comme une audience « normale » se tenant au tribunal, elle ne semble pas pouvoir constituer une alternative à la médiation qui a fait ses preuves comme un véritable processus de pacification des conflits familiaux.

La médiation se déroule dans un cadre beaucoup plus souple, favorisant la qualité des échanges et des discussions. La temporalité, et plus précisément la souplesse de la temporalité du processus, est à cet égard essentielle.

Les séances ont lieu à des moments fixés en concertation, ce qui contribue à une meilleure réceptivité des parties. Elles ont besoin de temps pour évoluer dans leur position et cheminer vers des solutions apaisées et constructives, avec l’éclairage et les conseils de leurs avocats, le cas échéant.

L’ARA présentera-t-elle cette flexibilité aux parties ?
On voit, en médiation, combien le temps, la souplesse, la qualité du lien avec le médiateur, qui a été choisi par les parties, ont leur importance.

En conclusion

L’ARA suscite de nombreuses questions.

Les mois à venir nous apporteront peut-être des réponses quant à son efficacité en matière familiale et à l’adhésion des professionnels à ce processus, qui ne semble pas totalement abouti.

Si elle est accompagnée rapidement des moyens nécessaires, à la fois sur le plan quantitatif, du nombre de magistrats désignés, et sur le plan qualitatif, de leur formation, et si des objectifs sont fixés aux juridictions, elle pourra permettre au juge de se saisir enfin de son rôle, pacificateur, de conciliation.

On ne peut que déplorer que l’ARA ait été limitée à la procédure écrite devant le tribunal, ce qui ne peut que restreindre grandement sa portée et son utilité.

Par ailleurs, les imprécisions que nous soulevons sont liées au fait que les textes sont actuellement flous et que seule la mise en oeuvre nous éclairera et permettra les ajustements nécessaires.

En attendant, la médiation demeure un outil déjà largement expérimenté et structuré depuis vingt ans, qui continue à faire ses preuves. Elle pourra également être utilisée dans le cadre d’une césure suite à l’acquiescement au jugement partiel pour régler les points demeurant en suspens (4)

Mots clés :
PROCEDURE FAMILIALE * Réforme * Audience de règlement amiable * Médiation
(1) V. K. Leclere Vue,
supra p. 542 .
(2) 56 % selon les chiffres clés de la justice pour 2017.
(3) 1,2 juge pour 100 000 habitants en France en 2022 contre 17,6 juges en moyenne en Europe (Rapport 2022 CEPEJ).
(4) Sur la césure, v. K. Leclere Vue,
supra p. 542 , spéc. p. 546.

 

Copyright 2023 – Dalloz – Tous droits réservés